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Comme l'affirme Jean-Pierre Acensi fondateur de l'Agence de l'Education par le sport
(APELS) : " Le sport n'est pas un facteur d'intégration en soi !".
Dans le cadre de la reflexion que nous menons sur la place du sport dans la socièté, nous
nous sommes interrogés si celui-ci n'est pas avant tout une construction idéologique. qui dans les faits divise plus qu'il ne rassemble. Le sport est-il la version "moderne" de la guerre?
La Libre Belgique en 2004 avait interrogé : Michel Caillat, ancien journaliste, professeur d'économie et de
droit, mais aussi sociologue du sport, et membre-fondateur du Mouvement critique du sport. Michel Caillat est notamment l'auteur de «Le Sport», dans la collection «Idées Reçues», éd.
Le cavalier bleu.
Voici l'entretien Entretiern avec Laurent Hoebrechts dont nous reproduisons in-extenso ci-dessous les propos si actuels:
Le sport est souvent vu comme un moteur d'intégration assez efficace. Qu'en pensez-vous?
Cela fait partie du discours mythique du sport en général. Le sport proclame tout un tas d'idéaux. Sur le
terrain, on en est très loin. Ma thèse est que l'idéal sportif est une pure construction idéologique. Toutes les vertus qu'on lui prête ont été construites de toutes pièces.
A partir du moment où vous êtes dans une structure de compétition, on se rend compte que le sport n'a jamais été
pur. Il a toujours été l'objet de tricherie, de dopage, de violence, d'argent... Je crois que le sport est intrinsèquement pervers.
L'intégration par le sport fait partie de cette mythologie?
Tout à fait. Le sport créerait du lien social. Mais quel lien social? Parle-t-on réellement d'une structure de
solidarité? Ce lien qui est créé au sein des clubs, des associations ou des foules, est-il éphémère, aléatoire ou continu? Ce qui me gêne le plus, c'est qu'on fait croire que le sport intègre à
l'heure même, où la société explose. C'est le sport-remède. On a toujours pensé que le sport allait soigner les maladies, la paresse, la tuberculose, la sexualité débridée... Aujourd'hui, comme
la société part en morceaux, on fait du sport ce lieu d'intégration.
La victoire de la France à la Coupe du monde de football en 1998 n'a-t-elle pas eu tout de même un effet
positif?
On a, en effet, beaucoup insisté là-dessus: le modèle-type d'une équipe de France Black-Blanc-Beur. Je prétends
que cet engouement est au contraire le symbole d'une France qui va très mal, à partir du moment où il faut mettre en avant à ce point son caractère disparate... Ce n'est pourtant pas une donnée
nouvelle. L'équipe de 1984 avec Platini, Tigana, Fernandez... était tout aussi métissée. L'équipe de 1958 avec Piantoni, Kopa, Ujlaki, Fontaine, pareil. A l'époque, il était même exclu de relever
cette diversité. J'ai un document où un journaliste se faisait épingler parce qu'il insistait sur ce côté «pluriethnique». Aujourd'hui, face aux scores de l'extrême droite, on veut montrer une
France très unie. Mais ce sentiment reste très éphémère. Quand je lis sous la plume de Roland Castro que cette victoire signe «la fin du racisme», il ne me semble pas illégitime de réclamer un
peu de retenue et d'analyse.
Vous parlez d'«illettrisme émotionnel»...
Oui, quand on est dans une foule sportive, on est dans une foule à l'état brut. Ce n'est pas le peuple, c'est la
foule. L'émotion domine, cela ne va pas plus loin. Dans les foules sportives, qui sont descendues dans la rue en 1998, on ne trouve pas de projet de changement de la société. Ça se limite aux
buts marqués, encaissés, à supporter de manière souvent hystérique. Un jour, on peut d'ailleurs insulter un joueur de tel club «ennemi», puis l'encourager le lendemain quand il porte la vareuse
nationale. Ça me paraît, en effet, proche de l'illettrisme. Cela ne veut pas dire que les gens sont illettrés, c'est le type de foule qui engendre ça. On va me reprocher un regard très hautain,
très intellectuel. Pas du tout! Le discours méprisant est souvent celui d'un certain nombre d'intellectuels pour qui, puisque c'est populaire, c'est sacré. Moi, je prétends que je respecte plus
le peuple en essayant de montrer que le sport n'est pas neutre ou anodin.
Vous insistez sur le sport professionnel. Dressez-vous le même constat au niveau
amateur?
Je ne dis pas que, dans les clubs, les gens ne se retrouvent pas. Mais cela se fonde malgré tout sur une
dynamique de sélection et d'exclusion. A qui s'identifie-t-on? A Zidane? Mais Zidane est une sorte de miroir aux alouettes. Combien de chances ont les immigrés de devenir Zidane? On a
l'impression que ne peuvent s'intégrer réellement que ceux qui excellent dans leur domaine. Et en plus, ces champions-là ne sont pas véritablement intégrés: ils sont plus «starisés»
qu'intégrés.
On fait du sport une espèce de soupape, de gilet de sauvetage. Mais l'intégration réelle où est-elle? On peut
même se demander s'il y en a plus dans le sport que dans l'école? Certainement pas. Est-ce que le premier moteur d'intégration n'est pas dans la position sociale, et donc la position sociale au
travail, comme disait Durkheim? C'est là la véritable intégration. Or, il se trouve que le monde du travail est de plus en plus précarisé, soumis à la pression d'une plus grande flexibilité... Le
sport a bon dos. Mais comment intégrer à l'aide de valeurs qui sont elles-mêmes excluantes?
Le sport est donc plutôt un moteur d'exclusion?
Oui, nécessairement. Le sport est facteur de hiérarchie, d'exclusion, de sélection. Au niveau de la compétition,
mais aussi de la réussite. On n'intègre que les très bons. Qui parle de tous ceux qui sont laissés sur le bas-côté? Et une fois qu'ils sont sortis du circuit, tout le monde s'en moque. La
structure même du sport l'empêche de se donner les sportifs idéels dont il rêve.
La confrontation entre deux équipes ressemble, en effet, parfois à une bataille. Mais dans certaines
disciplines, comme le saut en hauteur ou en longueur, la compétition a d'abord lieu avec soi-même, non?
Oui, mais la logique de compétition reste identique. Il faut produire des résultats, des gagnants. Quel que soit le
niveau de compétition, en finale scolaire ou olympique. Une fois qu'on est dans le système, on ne peut pas y échapper. Le dopage, par exemple, se situe à tous les niveaux. Parce que la logique
est la même partout. Il faut des résultats. Pour l'argent ou simplement la reconnaissance.
Mais est-ce que l'esprit de compétition n'est-il pas finalement quelque chose de très
naturel?
C'est une idée reçue de plus. Non, la compétition n'est pas naturelle. Il y a des systèmes sociaux où la
compétition n'est pas dominante. Elle existe aujourd'hui parce qu'on est dans un système de concurrence généralisé, mais la compétition n'est d'abord un phénomène culturel. On peut imaginer des
sociétés où il n'y aurait ni vainqueur ni perdant: une sorte d'activité où l'on serait l'un puis l'autre. Une fois arrivé au match nul, on arrêterait la partie.
Malgré tout, par sa dimension purement ludique, le sport n'est-il pas susceptible de
rassembler?
Je ne pense pas que le sport soit un jeu. C'est beaucoup plus que ça. On ne peut pas le faire passer pour un simple
divertissement innocent: il joue un rôle politique, idéologique... Même le sport de club appelle une certaine vision du monde: les valeurs de rendement, de record, de hiérarchie... Quand vous
regardez de plus près, vous pouvez aussi vous demander pourquoi le sport est l'enfant chéri des pouvoirs les plus forts? Peut-être parce qu'il véhicule un certain nombre de valeurs qui lui
correspondent assez bien.
Le sport de rue est, lui, hors de toute institution...
Justement. Il n'est pas du tout intégrateur. Au contraire. C'est un phénomène très identitaire, lié au quartier.
On reste entre soi. Il y a une espèce de prise de distance. Ça se veut convivial, mais en quoi cela régénère-t-il le lien social? On ne cherche pas de normes communes. Au moins dans le sport, on
peut dire qu'il y a des normes, un arbitre... Après tout, c'est ça la socialisation: intérioriser des normes que tout le monde a acceptées. Le sport de rue est très loin de ça.
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